Arnaud Maurières
L’exposition desert design montre les tapis comme des œuvres d’art
Depuis presque dix ans, les paysagistes Arnaud Maurières et Éric Ossart collectionnent les tapis de la tribu des Aït Khebbach, aux portes du Sahara. Voulant partager leur émerveillement face au caractère éminemment esthétique de ces œuvres, ils en exposent une vingtaine dans l’exposition Desert design au Musée Yves Saint Laurent Marrakech. Tout en émotion, la scénographie conçue par Younès Duret nous fait revivre leur aventure.
Quelle est la genèse de l’exposition ?
La collecte de ces tapis a commencé par hasard, en 2010, lors d’un voyage dans le désert vers Rissani.
Nous étions hors piste et au beau milieu de nulle part, quand notre guide Lahcen nous demande si l’on peut faire une halte chez sa famille à trois kilomètres de là.
Dans cette petite maison de terre sans électricité, il n’y avait rien, à part une pile de tapis que la mère de Lahcen a dépliés pour s’asseoir et prendre le thé.
Là, ça a été un choc esthétique très fort, parce que dans ce milieu si hostile et austère, ces tapis étaient des éclaboussures de couleurs auxquelles on ne s’attendait absolument pas.
Lahcen nous a appris que dans toutes les familles de cette tribu des Aït Khebbach, les tapis de couchage étaient comme ça.
Alors pendant deux ans, nous sommes allés tous les mois sillonner cette région avec Lahcen pour rencontrer les femmes des villages.
Au début nous achetions les tapis juste pour nous, puis nous avons voulu faire valoir l’aspect plastique et moderne du travail de ces femmes.
L’exposition montre les tapis avec le nom de celle qui l’a tissé, en mentionnant le village et la date, comme toute œuvre d’art.
Où s’arrête l’artisanat et où commence l’art selon vous ?
Ce que l’on veut faire ressentir dans l’exposition, c’est que l’abstraction n’est pas l’apanage du monde occidental.
Quand on leur pose la question de ce qui les inspire, la plupart nous disent « ce qui me passe par la tête ».
Ce n’est qu’ensuite qu’elles disent « tiens, ce motif ressemble à une fourmi », par exemple.
C’est le regard que l’on porte en tant que non-artistes et spectateurs de ces œuvres qui distingue l’art de l’artisanat, mais ce n’est pas du tout le geste du créateur.
Au-delà de l’aspect utilitaire de ces tapis, ces femmes ont voulu qu’ils soient beaux, sans quoi elles n’utiliseraient qu’une seule laine monochrome.
Si un motif est déstructuré, c’est volontaire, encore plus que dans la peinture parce que le geste est beaucoup plus lent en tissage.
Si elles voulaient faire un motif structuré, elles en seraient tout à fait capables, c’est ce qu’il y a de plus facile à faire.
Et ça, c’est une recherche de plasticien, de beauté.
Cela ramène à l’universel de la beauté…
Le dogme occidental sur l’art contemporain est un dogme imposé, dont on se croit propriétaire alors qu’on ne l’est pas du tout. Il y a une espèce d’universalité dans le fait qu’une même chose peut surgir en plusieurs endroits du monde au même moment, sans référentiel commun.
Ces femmes créent des textiles avec abstraction dans ce petit coin du désert comme un designer pourrait le faire dans une ville américaine.
Tous les livres sur le symbolisme des tapis marocains ont imposé l’interprétation psychanalytique des Occidentaux, mais cette approche anthropologique dénie aux femmes leur talent, leur droit d’exister en tant qu’artistes.
Dans un livre sur Picasso ou Miró, on ne psychanalyse pas son enfance, ce qui nous importe c’est le résultat, le talent de l’artiste.
Pourquoi n’aurait-on pas ce même discours pour l’art tribal ?
Cette exposition est là pour remettre les pendules à l’heure.